Lettre à ma veuve : « Oh, ma chérie, ma chérie, quel rêve de ce futur j’ai pu nourrir »

Dites-le avec une lettre

Il y a des choses qu'on aimerait pouvoir écrire... Mais on ne sait pas toujours par où commencer, comment trouver les bons mots, véhiculer la bonne intention. Aujourd'hui, on vous aide à vous lancer et envoyer la lettre parfaite:

Après plusieurs années de préparation, l’explorateur britannique Robert Falcon Scott et les quatre membres de son équipage atteignent le pôle Nord. Malheureusement, leur succès s’assombrit lorsqu’ils apprennent qu’une expédition norvégienne les a devancés de quatre semaines. Démoralisés et physiquement épuisés, Scott et son équipe entreprennent le chemin du retour. Un mois  plus  tard, à mi-parcours, un premier homme périt, suivi d’un autre un mois plus tard puis de Scott et des deux derniers coéquipiers.

Le 12 novembre 1912, leurs corps sont découverts.

Les derniers jours, l’explorateur craint le pire et commence à rédiger la lettre  d’adieu à celle qui considérait déjà comme sa veuve.

A ma veuve

Ma chérie adorée, nous sommes dans une sale passe et je crains que nous n’en réchappions pas. Dans le court laps de temps de nos repas, je profite d’une très relative montée de chaleur pour rédiger des lettres préparatoires à une fin possible. La première t’es évidemment destinée, mes pensées de veille ou de sommeil se dirigeant surtout vers toi. S’il doit m’arriver quelque chose, je tiens à ce que tu saches que tu as infiniment compté pour moi, et qu’à l’heure du départ de merveilleux souvenirs me gardent.

J’aimerais également que tu puises tout le réconfort possibles de ces informations : je n’aurai pas souffert et quitterai ce monde intact, délivré de mon harnais, et plein de santé et d vigueur – cela fait partie des ordres, quand les provisions viennent à manquer, nous nous arrêtons là où nous sommes, à distance raisonnable d’un autre dépôt [de ravitaillement]. Dès lors, tu ne dois pas imaginer une grande tragédie – bien sûr, nous sommes très inquiets et ce depuis des semaines, mais dans une forme physique remarquable, et notre appétit compense l’inconfort. Le froid est mordant et parfois même enragé mais encore une fois, nous savourons tant la nourriture chaude qui permet de le repousser que nous tiendrions à peine debout sans elle.

Nous avons bien descendu la montagne depuis que je t’ai écrit ce que précède. Le pauvre Titus Oates nous a quittés – il était au plus bas – et les rescapés que nous sommes poursuivons, en nous imaginant qu’il nous reste une chance de nous en sortir, mais ce temps glacial ne faiblit pas – nous sommes désormais à peine 20 miles d’un dépôt mais il nous reste bien peu de vivres et de carburant.

Mon cher coeur, je veux que tu prennes tout cela de la manière censée qui sera, je n’en doute pas, la tienne – notre garçon sera ton réconfort. J’étais heureux à l’idée de t’aider à l’élever, mais c’est une satisfaction de le savoir en sûreté sous ton aile. Il me semble que lui et toi devrez tout particulièrement être pris en charge par le pays pour lequel, en fin de compte, nous aurons donné nos vie avec l’élan qui a valeur d’exemple – j’écris des lettres en ce sens à la fin de ce carnet, ars celle-ci. Voudras-tu les envoyer à leurs divers destinataires ?

Il faut que j’écrive une courte lettre au petit, s’il trouve le temps de la lire quand il grandira – ma bien chère, ne va pas agripper à des sornettes sentimentales à propos du remariage ; quand l’homme qui convient te proposera son aide dans la vie, sois de nouveau heureuse. J’espère que je resterai un bon souvenir, ma fin ne devrait certainement pas être un motif de honte et j’aime penser que mon garçon aura eu un bon départ avec ses parents, ce dont il pourra être fier.

Ma chère, il est malaisé de t’écrire à cause du froid – 70 degrés au-dessous de zéro et nul autre abri que celui de notre tente – tu sais que je t’ai aimée, tu sais que mes  pensées sont tournées vers toi et oh, mon Dieu, tu dois savoir que le pire, dans cette situation, est la pensée de ne jamais te revoir – il faut bien admettre l’inévitable – tu m’as poussé à diriger cette aventure et tu avais pressenti que ce serait dangereux, je le sais. J’ai tenu mon rôle de bout en bout, n’est-c-pas ? Dieu te préserve, mon aimée, j’essaierai d’écrire davantage plus tard – je continue horizontalement au verso.

Depuis que j’ai écrit ce qui précède nous sommes parvenus à moins de 11 miles de notre dépôt grâce à un seul repas chaud et deux jours de plats froids, et nous aurions dû arriver au but mais quatre jours d’effroyable tempête nous ont retardés – je crois que notre meilleure chance a disparu, nous avons décidé de ne pas nous tuer mais de nous battre jusqu’à  la dernière minute pour atteindre ce dépôt, toutefois dans la bataille la fin est sans douleur alors ne t’inquiète pas. J’ai rédigé des lettres sur des pages impaires de ce carnet : pourras-tu faire en sorte de les expédier ? Tu vois, je m’inquiète pour toi et pour l’avenir de notre fils – tâche de l’intéresser à l’histoire naturelle, si tu le peux, cela vaut mieux que les jeux ; certaines écoles la favorisent. Je sais que lui feras profiter du grand air – essaie de lui faire croire en Dieu, c’est réconfortant. Oh, ma chérie, ma chérie, quel rêve de ce futur j’ai pu nourrir, et pourtant, oh, ma grande, je sais que tu sauras faire face stoïquement – quand on me trouve, ton portrait et celui du petit seront sur ma poitrine ainsi que dans le petit étui de maroquin rouge, cadeau de Lady Baxter. Un morceau du drapeau britannique que j’ai planté au pôle Sud se trouve dans ma petite sacoche avec le drapeau noir d’Amundsen et autres babioles – remets un petit morceau de drapeau au Roi, un autre à la Reine Alexandra, et garde le reste en guise de malheureux trophée pour toi ! J’aurais pu t’en dire et t’en redire sans fin sur ce voyage. C’était tellement mieux que de rester tranquillement à la maison… Quels récit tu aurais eus pour notre fils, mais oh, quel prix à payer : renoncer à contempler ton si cher visage. Chérie, tu seras bonne avec Mère. Je lui écris un petit mot dans ce carnet. Et reste en bons termes avec Ettie et les autres – oh, mais tu sauras afficher un visage fort, seulement ne sois pas si fière que tu repousserais de l’aide, dans l’intérêt du petit ; il doit briguer une belle carrière et accomplir quelque chose en ce monde. Je n’ai pas le temps d’écrire à sir Clements – dis-lui que j’ai beaucoup pensé à lui et que je n’ai jamais regretté qu’il me confie le commandement de Discovery. Adresse mon message d’adieu à Lady Baxter et Lady Sandhurst, préserve votre amitié car toutes deux sont des personnes chères, et fais-en de même avec le couple Reginald Smith.

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