Lettre de Maupassant à Gisèle d’Estoc « Votre curiosité m’étonne »

Dites-le avec une lettre

Il y a des choses qu'on aimerait pouvoir écrire... Mais on ne sait pas toujours par où commencer, comment trouver les bons mots, véhiculer la bonne intention. Aujourd'hui, on vous aide à vous lancer et envoyer la lettre parfaite:

 Guy de Maupassant (1850-1893) est un des plus grands écrivains réalistes du 19ème siècle. Gisèle d’Estoc (27 mars 1845 – 8 mai 1894), femme fatale, écrivaine et sculptrice à ses heures deviendra l’une de ses maîtresse.

 

 

 Paris, ce mardi, (fin 1880 ou janvier 1881)

Madame,

S’il est vrai que vous soyez une femme curieuse et non un simple farceur de mes amis qui s’amuse à mes dépens, je me déclare prêt à me montrer à vous quand vous voudrez, où vous voudrez, comme vous voudrez et dans les condition qu’il vous plaira !
Vous aurez sans doute une grosse désillusion ; tant pis pour nous deux – Puisque vous cherchez un poète, permettez-moi d’amortir le coup et de vous dire un peu de mal de moi – Physiquement je ne suis pas beau et je n’ai point l’allure ni la tournure qui plaisent aux femmes.
Je manque absolument d’élégance, même de toilette et la coupe de mes habits me laisse totalement indifférent – toute ma coquetterie, coquetterie de portefaix et de garçon boucher, consiste à promener en été sur les bords de la Seine en costume de canotier pour montrer mes bras – c’est bien commun, n’est-ce pas ?
Je ne cause passablement avec une femme que lorsque je la connais assez pour être très libre avec elle et n’avoir point à chercher des élégances et des subtilités de mots. Ici, j’ouvre une parenthèse, le jeune homme qui vous a donné sur moi des renseignements si… difficiles à dire, aurait pu ajouter que j’ai pour amies très intimes des femmes qui n’ont jamais été autre chose que mes amies et à qui je n’ai jamais rien demandé parce qu’une femme ne sait jamais rester l’amie après avoir été davantage. Je n’ai pas eu, en toute ma vie, une apparence d’amour, bien que j’ai simulé souvent ce sentiment que je n’éprouverai sans doute jamais, car je dirais volontiers comme Proudhon : « Je ne sais rien de plus ridicule pour un homme que d’aimer et d’être aimé. »
Je suis sensuel, par exemple ?
Oh ça oui ! on ne vous a pas trompée ; et cependant je ne suis point dangereux, je ne me jette pas immédiatement sur les femmes en poussant des cris.
Je n’ai jamais subi de condamnation pour… passions trop vives ! et on peut rester une heure en public avec moi sans péril, quand il y a des sergents de ville à portée de la voix. J’ai, du reste, l’imagination froide et réaliste. J’aime ce que je vois après y avoir goûté, parce qu’alors je suis sûr que c’est bon. Vous commencez à me mépriser, n’est-ce pas, Madame ?
Comment écrire ainsi à une inconnue ? car vous êtes pour moi, en ce moment, l’inconnue dont rêvent les poètes ! Eh bien, si vous cherchez un poète je vous crie « casse-cou ». Si vous aimez les messieurs galants et coquets,. complimenteurs et savamment habillés, je n’en suis point. Si vous désirez rencontrer une âme sentimentale, je puis vous en indiquer parmi mes connaissances : qui sait ? peut-être celui-là même qui vous a renseignée sur mon compte.
Mais je n’ai point l’âme sentimentale. Je suis un garçon simple qui vit comme un ours. Et cependant, Madame, si vous souhaitez encore voir cet ours, il quittera son repaire à votre voix et il vous promet de respecter vos volontés.
Vous vous demandez, assurément, quelle idée je me fais de vous ? Je ne m’en fais point. J’attends pour savoir. Votre curiosité m’étonne. Vous voulez voir comment je suis, parce qu’on vous a fait sur moi des histoires !… et c’est tout.
Eh bien vous verrez, Madame, et je vous jure en toute loyauté que je ne ferai rien qui puisse vous amener à regretter cette curiosité.
Permettez-moi de vous baiser les mains ; c’est un vieil usage que j’adore et qui ne vous compromettra point puisque je ne vous connais pas.

GUY DE MAUPASSANT

P.-S. – Votre lettre après m’avoir suivi du ministère (où je ne vais plus, rue Clauzel (où j’habitais) ne m’est parvenue qu’aujourd’hui à mon nouveau domicile.

 

Pour plus de lettres de Guy de Maupassant 

 

(Source : http://maupassant.free.fr/)

Première réaction d'un lecteur

Cet article est récent et vous êtes sans doute un des tous premiers lecteurs à le dénicher... Soyez le premier à laisser un commentaire, partager un avis, une idée... pour lancer la discussion :).

Voir les commentaires

Vous aimez lire sur l'amour ?

Recevez 1 e-mail par mois contenant les nouveaux articles les plus appréciés par la communauté Parler d'Amour

Lecteurs de Parlerdamour.fr

Laisser un commentaire