Lettre d’Apollinaire à Lou « Je me demande si j’ai vraiment aimé jusqu’ici »

Dites-le avec une lettre

Il y a des choses qu'on aimerait pouvoir écrire... Mais on ne sait pas toujours par où commencer, comment trouver les bons mots, véhiculer la bonne intention. Aujourd'hui, on vous aide à vous lancer et envoyer la lettre parfaite:

 

En 1914, Apollinaire (1880-1918) rencontre celle qui sera son amante : Lou (Louise de Coligny Chatillon), alors âgée de 33 ans. Leur passion sera aussi intense qu’éphémère et Apollinaire écrira des centaines de lettres à celle qu’il nomme « Mon étoile polaire ». En voici une :

(Pour plus de lettres d’auteurs célèbres, c’est pas ici !)

 

 

Nice, 28 septembre 1914.

Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne de vous l’écrire.

  Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient.

  C’est ce regard-là que je revois partout, plutôt que vos yeux de cette nuit dont mon souvenir retrouve surtout la forme et non le regard.

  De cette nuit bénie j’ai avant tout gardé devant les yeux le souvenir de l’arc tendu d’une bouche entr’ouverte de petite fille, d’une bouche fraîche et rieuse, proférant les choses les plus raisonnables et les plus spirituelles avec un son de voix si enchanteur qu’avec l’effroi et le regret où nous jettent les souhaits impossibles je songeais qu’auprès d’une Louise comme vous, je n’eusse voulu être rien autre que le Taciturne.

Puissé-je encore toutefois entendre une voix dont le charme cause de si merveilleuses illusions !

  Vingt-quatre heures se sont à peine écoulées depuis cet événement que déjà l’amour m’abaisse et m’exalte tour à tour si bas et si haut que je me demande si j’ai vraiment aimé jusqu’ici.

  Et je vous aime avec un frisson si délicieusement pur que chaque fois que je me figure votre sourire, votre voix, votre regard tendre et moqueur il me semble que, dussé-je ne plus vous revoir en personne, votre chère apparition liée à mon cerveau m’accompagnera désormais sans cesse.

  Ainsi que vous pouvez voir, j’ai pris là, mais sans le vouloir, des précautions de désespéré, car après une minute vertigineuse d’espoir je n’espère plus rien, sinon que vous permettiez à un poète qui vous aime plus que la vie de vous élire pour sa dame et se dire, ma voisine d’hier soir dont je baise les adorables mains, votre serviteur passionné.

Guillaume Apollinaire.

(Source : Guillaume Apollinaire, Lettres à Lou, Gallimard)

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